vendredi 2 novembre 2012

Quand IBK tente de sortir la tête hors de l’eau

La presse malienne s’est intéressée, dans son ensemble à l’interview d’Ibrahim Boubacar Keita (IBK ) qu'il a accordée à un média français cette semaine. Et d'une façon générale, elle a largement diffusé l’intégralité de cette interview. Il y a eu donc très peu voir aucune analyse de cette interview. C’est la raison pour laquelle et dans le souci mieux éclairer l’opinion nationale malienne, j’ai décidé de publier ce que j’ai compris et retenu de l'interview d’Ibrahim Boubacar Keita.

Je tiens à souligner que mon analyse se base sur des faits concrets, et  ne doit en aucune manière être considérée comme un règlement de compte personnel. C’est simplement  par souci d’intégrité, de neutralité, mais surtout la volonté de guider, éclairer et avertir les maliens sur les questions relatives à leur société et à son développement.

Pour commencer, intéressons-nous à la forme du discours d’IBK :

Au moment où la communauté internationale s’active à voler au secours du Mali, afin que celui-ci  se libère  du joug de l’oppression des islamistes et des narcotrafiquants et recouvre  l’intégrité de son territoire, cette personnalité publique, non moins importante du paysage politique malien, qui, à l’instar d’autres personnalités politiques a fait le choix de se réfugier dans un silence presque agaçant, tente enfin de sortir la tête hors de l’eau pour donner sa version des faits. Et pour se faire entendre, IBK  a choisi, non pas à un média malien, mais RFI, ce 31 octobre 2012.

Dans cette interview, Monsieur Ibrahim Boubacar Keita (IBK) a désigné le président Amadou Toumani Touré (ATT) comme l’unique coupable  du malheur qui s’acharne sur le Mali depuis le 22  mars dernier, date à laquelle, celui-ci a été évincé du pouvoir par un coup d’Etat militaire, seulement un mois de la fin de son mandat. Selon lui, ATT ne saurait partager cette lourde responsabilité avec quiconque, puisque c’est lui et lui seul qui a donné à l’armée malienne, l’ordre d’évacuer la ville de Tessalit en février dernier.

Pour mieux mesurer le poids des propos tenus par  Ibrahim Boubacar Keita, il est utile de se rappeler qu’il est le président du Parti pour le Rassemblement du Mali (RPM) et candidat aux élections présidentielles pour la troisième fois. En outre, IBK a été le président de l’Assemblée Nationale du Mali de 2002 à 2007, pendant les cinq premières années du mandat du Président Amadou Toumani Touré.

On se souvient encore de cette déclaration qu'il a faite à la presse au lendemain de son écrasante victoire aux élections législatives de 2002 : « désormais, je travaillerai avec mon frère ATT, non pas en face à face, mais en côte à côte » Et 10 ans plus tard, ATT est devenu persona non gratta aux yeux d’IBK. Et pendant 10 ans  les responsables politiques maliens, se sont attribués les postes, ont joué à fond au copinage dans la gestion des affaires publiques et l’accès à l’emploi,  laissant pour compte le peuple malien et ses souffrances quotidiennes.

IBK, dans son interview, a défendu la même thèse que les auteurs du coup d’Etat du 22 mars 2012, à savoir, que le président ATT est la cause de tous les malheurs du peuple malien. Loin de moi l’idée de défendre le président déchu, celui là même qui a ouvert la porte à la corruption et au copinage au sommet de l’Etat. Mais il convient néanmoins de souligner que M. Keita a été l’une des rares personnalités politiques maliennes à n’avoir pas été touchée par la junte, depuis le début de cette crise. Allez savoir pourquoi.

Et ma préoccupation  principale, en tant que citoyenne malienne, c’est de savoir, comment a-t-on pu laisser une seule personne la gestion de toute une nation ? En outre, dans cette interview, qu’ IBK a bien voulu accorder à RFI, il affirme avoir pleuré, lorsqu'il a appris la chute de la ville de Tessalit par les rebelles touaregs et leurs alliés islamistes et narcotrafiquants. Je pense que nous attendons plus  d’un responsable politique, que des larmes, considérés comme un signe de faiblesse ou d’incapacité, surtout face à des personnes qui n’ont de cœur que de tuer, violer , lapider ou flageller.


Nous avons besoin de leaders, capables d’agir avec fermeté et constance  et qui savent anticiper  les crises. Hors, en décidant de « travailler en cote à cote avec ATT » Devrait-il s’étonner des agissements de fin de mandat de ce denier ? Et dès cet instant précis, n’a-t-il pas décidé de se dédouaner de sa responsabilité vis-à-vis du peuple malien ? De surcroît  peut-on parler de cohérence entre le discours d’IBK de 2002 et celui annoncé sur les antennes de RFI ? Enfin, est-il possible d’être autrefois en phase avec le président déchu et aujourd’hui avec les auteurs du coup d’Etat de mars 2012 ?

Arrêt sur le discours d’IBK : Ce qu'il a dit et ce qu'il a tu 

Le discours de Monsieur Keita s’est articulé autour de trois points principaux à savoir:
La responsabilité du président ATT  dans le basculement du pays dans les heures les plus sombres de son histoire ;
Les querelles intestines qui empêchent la classe politique malienne de s’unir et de présenter un plan crédible  l’union nationale, la gestion et la sortie de crise ;
Son soutien aux actions du président Traoré et à celles de la communauté internationale en faveur du Mali.

IBK, le républicain et fervent défenseur de la démocratie, des droits de l’Homme et de la bonne gouvernance a omis de dire quoi?

Personnellement, j’aurais apprécié entendre IBK :
dénoncer le coup d’Etat qui a réduit au néant les efforts énormes  faits par le Mali au cours de ces 20 dernières années en matière de démocratie et de développement social et ouvert la porte de l’impunité dans le pays ;
prôner la mise en place d’un Etat de droit ;
insister sur la nécessité de favoriser la création d’un environnement propice à la démocratie, au respect des droits  individuels, à la liberté d’exprimer ses opinions sans en être inquiété  de quelque manière que ce soit ;
prôner l’émergence d’une société civile forte et autonome au Mali ;
proposer des mesures concrètes au peuple du Mali, pour une meilleure sortie de crise, ainsi qu'une meilleure reconstruction du pays et des régions maliennes du Nord en particulier ;
dénoncer les nombreuses violations des droits humains particulièrement à Bamako, depuis le coup de mars dernier, une pratique qui reste toujours très courante, notamment dans la capitale.

Par ailleurs, aussi étonnant que cela puise paraître, aucun de ces fondements d’un Etat de droit, démocratique et républicain n’a été mentionné par Monsieur Keita.
Cependant, comment devrions-nous interpréter cette omission de la part d’une personnalité politique et publique au moment où  le Mali se voit dépossédé de tous ces précieux acquis ?
Les maliens ont fait preuve d’une  très grande indulgence au cours de ces 20 dernières années. Aucun compte n’a été demandé à l’Etat et à ses dirigeants. Ce manque de vigilance ou ce laisser-aller a laissé la place à la construction d’un Etat corrompu, faible et bafoué, en témoigne la crise sans précédent qui sévit dans le pays depuis des mois.

Compte tenu de cette grave crise que traverse le Mali et les souffrances vécues par ses populations, n’est-il pas nécessaire, voir obligatoire que nos responsables politiques réfléchissent des bases saines et transparentes à un Etat solide et démocratique ? Je pense que cette exigence  ne sera pas possible tant qu'ils continuent à se dénigrer et à se rejeter les responsabilités. Ils doivent tous reconnaître  leurs parts de responsabilités  dans la crise actuelle et prouver leurs crédibilités à la nation malienne en proposant de nouvelles stratégies de gestions des affaires publiques, pour favoriser le développement  du pays, le partage des richesses, l’accès au marché du travail à tous les jeunes du Mali, sans considérations sociales, politiques ou culturelles.

En clair, comment chaque citoyen malien, qu'il soit du Nord, du Sud, d’Ouest ou d’Est puisse retrouver sa place dans la République, en ne laissant personne au bord de la route ? Telle doit être dorénavant la seule préoccupation de chaque responsable politique qui souhaite s’investir pour la cause du peuple malien.



mardi 30 octobre 2012

Crise malienne: Quand les médias internationaux monopolisent l'information


Le coup d’état du 22 mars dernier, qui a renversé le président ATT  seulement un mois de la fin de son mandat a pris en otage la démocratie au Mali, remettant ainsi en questions les énormes efforts et sacrifices faits par le peuple et les autorités du pays.

Loin de moi, l’idée d’affirmer que tout était rose dans cette démocratie, puisque la corruption, principal fléau social demeure trop répandu et qui a gagné du terrain pendant ces dix dernières années. La forte propagation de ce fléau social dans la société malienne a  eu des conséquences très néfastes sur la vie des citoyens, qui sont entre autres, la baisse des salaires et des conditions de travail, l’altération de la concurrence entre les entreprises,  l’accroissement des inégalités sociales en un niveau record. En clair, les riches se sont davantage enrichis et les pauvres se sont appauvris de plus en plus. Difficile de parler de classes moyennes dans ce genre de situation.

Par ailleurs, de la prise en otage de la démocratie malienne est né un autre fléau : La censure, le musèlement, des arrestations arbitraires et bien d’autres violations des droits de l’Homme. Tout à coup, l’Etat corrompu est devenu un Etat sans lois et où règne la loi du plus fort. C’est alors que les efforts d’éployés par le Mali en matière de pluralisme des médias, de liberté d’expression, y compris la liberté de la presse sont anéantis. Plusieurs personnalités politiques, des  journalistes et des directeurs de publications ont été passés à tabac, emprisonnés ou portés disparus.

Ces violences inouïes et insupportables ont servi de leçons aux citoyens lambda et aux professionnels des médias, susceptibles de condamner ou de critiquer le comportement « animal » des auteurs du coup d’état du 22 mars 2012.

Cette nouvelle tendance a laissé la place à une nouvelle réalité : les médias locaux, autrefois considérés comme la première source d’information deviennent tout à coup peu crédibles, obligeant ainsi les maliens de se tourner vers les médias internationaux libres et démocratiques. Ceux-ci deviennent dorénavant la première source d’information pour les maliens et leur crédibilité s’est vue renforcée. La confiance est davantage accordée aux médias internationaux qu’aux sources locales. Ce nouveau contexte fait des médias internationaux, de véritables acteurs essentiels au paysage médiatiques malien.

C’est pourquoi, les maliens s'expriment librement  sur Radio France Internationale sur la crise dans le nord du Mali. Ils appellent de Kita, Badiangara, Bamako en passant par Koulikoro, Ségou, Mopti et Kati pour  tenter de s’informer et mieux comprendre le déroulement et la gestion de cette crise. L’avantage de cette radio française, c’est qu’elle est recevable aux quatre coins du Mali, contrairement aux radios locales, dont les fréquences dépassent difficilement  les 50 kilomètres.  

Cette réalité relative au traitement de l’information de la crise malienne par les médias internationaux n’est pas sans conséquences et parmi elles : la diffusion d’une information « édulcorée », des mauvaises interprétations des réalités sociopolitique et culturelles du pays et la diffusion d’une information parfois partisane. Par exemple au début de la crise, nombreux étaient des maliens qui ont accusé RFI et France 24 de soutenir les membres du mnla et d’avoir facilité la prise des régions maliennes du nord par les rebelles touaregs et leurs alliées islamistes.

Etant donné les difficultés pour la presse malienne et les médias d’une façon générale à conduire une ligne éditoriale libre et  indépendante, les médias internationaux sont devenus  également la première source pour les journalistes  dans le cadre de leur traitement de l’information relative à la crise qui sévit dans le pays depuis huit mois. Et cette tendance n’est pas prête de s’inverser, puisque les auteurs du coup d’état, bien que discrets, restent très influents dans la vie politique et publique du Mali, comme si l’on donnait de la légalité à leur acte.




lundi 29 octobre 2012

L’Amérique promeut l’intervention militaire dans le nord du Mali en Algérie

La secrétaire américaine, Hillary Clinton effectue une visite en Algérie, ce lundi 29 octobre.  Placée sous le signe de la lutte contre le terrorisme international, l’Amérique tente de mettre la pression sur l’Algérie afin, qu’elle garantisse son soutien à une future intervention contre les islamistes qui occupent le nord du Mali, depuis le coup du 22 mars dernier.


Les rôles des deux pays sont complémentaires.  D’une part l’Algérie est convoitée pour sa proximité avec le Mali et la connaissance parfaite de ses services de renseignement  de la réalité de la région. Cependant, l’efficacité et la réussite de toute intervention armée dans le nord du Mali passent  obligatoirement par la fermeture hermétique de toutes les frontières par  l’Algérie.


D’autre part, quand à Washington, il dispose de la logistique nécessaire pour  mener des opérations militaires ciblées dans la zone.

Ayant un objectif prioritaire commun, celui de lutter contre les groupes terroristes qui se sont confortablement installés dans le nord du Mali, Washington et Alger tentent de trouver  un accord avant la poursuite des discussions au Conseil de sécurité de l’ONU.


Depuis le 19 octobre dernier, Alger et Washington ont conclu un partenariat stratégique, comme en témoigne le voyage du ministre algérien des Affaires dans la capitale américaine.

Rappelons que depuis le début de la crise malienne, l’Algérie s’est toujours montrée retissante vis-à-vis de toute possibilité d’intervenir militairement dans le nord et a  toujours émis le souhait de régler cette crise par le dialogue.



Le Haut Conseil Islamique du Mali, un organe islamique et instrument politique de tous les dangers


Le Haut Conseil Islamique du Mali (HCIM) a été créé en janvier 2002 pour fédérer et représenter les diverses tendances de l’islam qui, selon les estimations, concernerait plus de 90% des Maliens. Dirigé par un président issu du Bureau Exécutif National élu pour 5 ans, le HCIM a été conçu pour affirmer la pluralité et la liberté religieuses et servir d’interface avec les pouvoirs publics. Il devait rompre enfin avec le système promu par l’Association Malienne pour l’Unité et la Progrès de l’Islam (AMUPI), courroie de transmission du parti unique de l’ancien dictateur Moussa Traoré.

En dépit d’un activisme des « Gens de la Sunna » ou « Wahhabites », le premier Bureau Exécutif National choisissait Thierno Hady Boubacar Thiam comme président. Ouléma modéré, Thiam représentait non seulement la majorité malékite, mais veillait à ce que le HCIM soit apolitique, tout en pesant dans la prise en compte des normes islamiques par les politiques publiques.

En janvier 2008, le HCIM voit l’élection de Mahmoud Dicko à la présidence. Imam de la grande mosquée sunnite de Badala, ex-Secrétaire Général de l’AMUPI et Premier Secrétaire sortant aux Affaires religieuses, Dicko est originaire du nord du Mali. S’il demeure évasif sur ses orientations wahhabites, il engage le HCIM dans l’arène politique dès 2009, où il parvient à faire suspendre la loi sur le Code de la famille et des personnes, auquel il impose 49 modifications adoptées en décembre 2011. Déjà, en septembre de la même année, le HCIM plaçait son Secrétaire Général à la tête de la Commission Électorale Nationale Indépendante en vue des élections générales.

Cet entrisme prend alors effet dans la crise qui éclate le 22 mars 2012. Après avoir joué un rôle de médiateur controversé auprès des putschistes, en août 2012, le HCIM sauve la place du Premier Ministre qui, en échange, crée un Ministère des Affaires Religieuses confié à l’un de ses membres. Le 23 septembre, il organise un atelier sur les conditions d’application de la charia et espère en présenter la résolution aux principaux leaders des forces armées salafistes du nord. Médiateur au sud comme au nord, le HCIM de Mahmoud Dicko vise désormais la nature constitutionnelle de l’État, sous couvert d’une restauration négociée de l’unité nationale.

De nouvelles élections du HCIM sont programmées pour janvier 2013. Si le Bureau sortant affiche une certaine confiance quant à sa réélection, un Groupement des Leaders Spirituels Musulmans du Mali s’est constitué fin octobre 2011, dirigé par le prêcheur Chérif Ousmane Madani Haïdara. Ennemi historique des Wahhabites, Haïdara est vice-Président de l’actuel HCIM et compte notamment le Président Thiam à ses côtés dans cette initiative. Son objectif consiste à rassembler l’islam malékite afin de peser, d’une part sur le rétablissement de la représentativité du HCIM et, d’autre part, sur le rejet du débat à propos de la charia, au profit de celui du maintien de la République laïque dans une stricte séparation entre le politique et le religieux.

Face à ce qui s’apparente à un verrouillage du HCIM par le Bureau sortant, lequel envisagerait d’augmenter sensiblement les montants du droit d’adhésion et de cotisation, le journal L’Aurore rapporte que le même Chérif Haïdara et son collectif souhaiteraient désormais mettre en place une nouvelle organisation et laisser le HCIM aux seuls tenants de l’option salafiste. Cette situation inédite rappelle étrangement celle qui prévaut en Côte d’Ivoire, où le Conseil des Imams Sunnites (CODIS) a fait sécession en se constituant en marge du Conseil Supérieur des Imams (COSIM).


Credit :
Boubou Cissé, Economiste, originaire de Djenné, spécialiste des questions de développement humain en Afrique.


dimanche 28 octobre 2012

Mali: Chasser les bandits armés et après?

Avec la collaboration de: Boubou Cissé, économiste, spécialiste des questions de développement humain en Afrique;Joseph Brunet-Jailly, professeur à Sciences-Po;Gilles Holder, anthropologue, spécialiste des dynamiques politiques et religieuses au Mali.

Le Premier Ministre du Mali, lors de son voyage officiel à Paris le 20 septembre dernier a défendu sa conviction et sa détermination à déloger les narcotrafiquants et les terroristes du Mali. Un message qui a trouvé échos auprès de l'Elysée, puisque le président Hollande à son tour a mené une campagne de sensibilisation auprès des pays ouest africains, de l'Union africaine et de l'ONU quelques semaines avant le sommet de la francophonie en RDC. Un plaidoyer qui s'est soldé par l'adoption d'une résolution dans ce sens le 12 octobre par le Conseil de sécurité. Désormais  un processus de légalité internationale est enclenché et l’on attend que la CEDEAO donne corps à celle-ci pour enfin « chasser les bandits armés ».


Cette expression fait quasi unanimité à Bamako : c’est, depuis le 22 mars, l’objectif affiché de la junte militaire menée par le capitaine Sanogo, des personnalités qui ont rapidement soutenu les mutins, comme le député Oumar Mariko et son MP22, les militants du COPAM, mais aussi l’ancienne ministre Aminata Dramane Traoré ou le Chérif de Nioro de la Tidjaniyya Hamawiyya, des tenants de la légalité républicaine du FDR ou du mouvement IBK2012, des organisations religieuses de toute confession, du COREN, etc. Tout le monde semble déterminé à chasser les « bandits armés », sans pourtant qu'aucun acte n’ait accompagné ces déclarations, jusqu’à ce que le Chef de l’Etat demande, le 1er septembre dernier, le secours de la CEDEAO. Décision importante car elle donne un caractère internationale à ce conflit.

Pourtant, cette décision est malencontreuse, comme toutes les interventions internationales jusqu’à présent. La CEDEAO a été maladroite vis-à-vis du capitaine Sanogo ; elle l’a installé durablement dans sa caserne de Kati, qui domine Bamako. La CEDEAO a été mal inspirée en imposant un Premier Ministre inexpérimenté, dont le seul atout était d’appartenir à la famille de l’ancien dictateur Moussa Traoré et de pouvoir compter sur l’équipe de ce dernier. La CEDEAO a mal choisi le médiateur, le président Compaoré, dont la situation politique est fragile dans son propre pays, le Burkina Faso. Ce médiateur lui-même a commis de lourdes erreurs, en imposant l’un de ses conseillers comme ministre des Affaires étrangères du Mali, ou en lançant des discussions avec des groupes rebelles sans y associer les autorités maliennes. Le fait que l’Union Africaine apporte son soutien, que les Nations Unies se disent prêtes à donner prochainement leur feu vert à une intervention, que la France et les Etats-Unis promettent un appui logistique, tout cela ne fait que rendre plus probable une intervention vouée à l’échec, et accroître la mise sous tutelle du Mali.

Cette décision est malencontreuse également parce qu'une intervention armée classique n’obtiendra aucun résultat contre des djihâdistes, salafistes et indépendantistes financés par des trafics en tout genre et se défendant sur leur propre terrain. Le Premier Ministre indique d’ailleurs que la première tâche de ces troupes étrangères sera de sécuriser la ligne de démarcation établie depuis avril entre la zone contrôlée par les islamistes et le tiers sud du Mali. Autant dire que l’armée n’en a pas été capable, trop occupée qu’elle est par des luttes entre factions rivales, tout comme la police. Et pendant ce temps les milices privées – qui les finance ? – se développent un peu partout dans le pays, qui sera bientôt livré aux chefs de guerre de tous bords.

Il faudrait tenir compte de la détermination des « bandits armés » : qu'ils soient bien payés ou pas, qu'ils soient endoctrinés ou pas, ils sont visiblement animés par une envie de domination territoriale et d’élimination de toute influence occidentale, prêts à mourir pour la cause qu'ils servent. Il est parfaitement clair qu’AQMI ne s’est pas fixé au nord du Mali pour négocier avec le Mali sur l’application de la charia : les djihâdistes se sont offerts un sanctuaire d’où il sera possible d’entreprendre des actions de plus en plus loin. L’enthousiasme des troupes de la CEDEAO sera à la mesure de la conviction des Etats qui les délégueront  tous sous la menace d’attentats, de troubles sociaux dégénérant en effondrement de l’Etat. Les maux qui ont conduit le Mali à la ruine sont présents dans les pays voisins. L’internationalisation du conflit est en cours, tant du côté d’AQMI que du côté de ses adversaires.

Il faudrait également envisager la complexité des alliances qui ont permis aux « bandits armés » d’occuper tout le Nord du Mali. Il est sûr qu’AQMI a su tirer les marrons du feu, mais il n’est pas sûr que ceux qui ont bénéficié de son appui lui soient définitivement dévoués. Il se pourrait aussi que le soutien populaire aux islamistes soit plus profond qu’on ne l’imagine. Il se pourrait encore qu’Ansar Ed-Dine ait un agenda politique qui l’amène à s’entendre avec le Haut Conseil Islamique du Mali. Il se pourrait enfin que le Mouvement National de Libération de l’Azawad, MNLA brouille un peu plus la donne qu’il ne l’a fait lorsqu’il est passé au fil des mois de la revendication indépendantiste à celle d’une république islamique de l’Azawad, et aujourd’hui à une simple autonomie.

On crie « chassons les bandits armés » au sud, mais on est de moins en moins prêt à vivre dans le même pays que les populations du Nord, régulièrement stigmatisées et contre lesquelles des violences ont été organisés, ici à Bamako, en février dernier. On crie « chassons les bandits armés » sans voir qu’au Nord, en dépit de ses excès destinés précisément à terroriser la population et marquer l’opinion internationale, l’application de la charia est souvent ressentie comme la réintroduction d’une forme de justice que l’Etat n’assurait plus depuis longtemps. Et au sud, on crie « chassons les bandits armés », mais on discute à Bamako même, au sein du Haut Conseil Islamique, où s’est constitué un puissant parti wahhabite qui a écarté la majorité malékite, des conditions raisonnables de l’application de la charia.

Ce n’est donc pas au Nord seulement que la religion a un bras politique. Au Sud ce bras est drapé dans de grands boubous, mais il peut mobiliser 50.000 personnes contre un code de la famille qu’il juge trop éloigné de la charia et prendre la tête de la commission électorale indépendante dans la foulée. Si on en est là, c’est que l’Etat s’est montré si obstinément prédateur que la population ne le supportait plus, et ceci aussi bien au Sud qu’au Nord. Si on en est là, c’est que les dirigeants politiques, tous partis confondus, depuis quarante ans, se sont répartis les prébendes au lieu de faire face aux besoins de leurs concitoyens. L’attentat dont a été victime le Président Dioncounda Traoré n’a pu être organisé par les partisans de la junte qu’à cause de la violence du ressentiment de la population à l’égard de ses dirigeants politiques.

L’irruption sur la scène politique d’un capitaine inconnu, auréolé du mérite d’avoir chassé un chef d’Etat dont toute la carrière avait été fondée sur le mépris des partis et des débats politiques, a paralysé la classe politique et intellectuelle malienne. A part quelques vedettes médiatiques capables de croire qu’un jeune officier serait mieux à même d’établir un régime favorable au peuple, le personnel politique a été muet pendant de longs mois. Les militaires ont d’ailleurs fait ce qu’il fallait, en allant cueillir à leur domicile certains dirigeants bien connus, pour les tabasser et les garder quelques temps dans les geôles de la caserne de Kati.
Voilà pourquoi, dans ce pays, personne ne dispose plus de la moindre autorité légitime. Voilà pourquoi ce sont les pressions extérieures qui ont abouti aux nominations du Président et du Premier Ministre, tous deux neutralisés, et aux invraisemblables délibérations de l’Assemblée nationale. Aujourd’hui comme hier, la multiplication des associations et organisations politiques ou patriotiques qui font parler d’elles dans les journaux ne signifie rien : elle ne représente que leurs dirigeants et ne vivent que le temps d’une certaine présence médiatique ; elles ne traduisent en pratique que le nomadisme politique endémique au Mali. On ne peut en attendre, sauf rarissime exception, ni réflexion politique, ni capacité de décision. Au-delà des aigreurs qu'exprime la presse et certaines organisation pro-putschistes sur le fait que la CEDEAO, la France, les Etats-Unis bafouent la souveraineté du Mali, il faut admettre que personne ne dispose dans ce pays d’une autorité légitime capable de prendre les décisions de stratégie militaire et politique qui s’imposent aujourd’hui et qui se présenteront pendant toute la période de guerre mis à part peut-être les religieux.

L’urgence n’est pas dans une intervention mal préparée dans la zone conquise par les islamistes. L’urgence est dans la reconstitution au sud d’un Etat reposant sur une réelle légitimité populaire. Sera-t-il laïc ? Sera-t-il islamique ? Nous n’en saurons rien tant qu’un peu d’ordre n’aura pas été rétabli depuis Bamako. Ceci suppose sans doute une force impartiale, mais aussi le rétablissement d’institutions crédibles dévouées à la résurrection d’un Etat et peut-être d’une Nation. Ceci suppose aussi que les Maliens s’interrogent sur l’effondrement brutal d’un Etat que beaucoup, depuis des années, savaient très faible, et qui n’est que l’ultime manifestation de la disparition d’une nation ruinée par une distribution des revenus au profit de la bourgeoisie politico-administrative et de quelques grands spéculateurs, par l’absence d’une réelle politique en faveur de l’emploi, de la petite exploitation agricole ou d’élevage dans un pays qui ne fait que survivre de famine en disette. Rares sont les personnes disposant encore de l’autorité morale qui leur permettrait de jouer un rôle dans une conférence nationale en jetant les bases de nouvelles institutions et de règles de désignation des dirigeants. Il y en a pourtant quelques-unes, bien silencieuses. Elles devraient prendre rapidement une initiative, car si le Mali ne reconstruit pas son Etat, il ne sera bientôt plus qu'un champ de bataille pour des troupes étrangères et des chefs de guerre. A moins que la charia ne remette de l’ordre (un ordre ?) dans ce chaos…
Crier « chassons les bandits armés ! », c’est simplement tenter de masquer qu'on ne veut et qu'on ne peut rien entreprendre pour faire face au drame que vit le Mali : la chute de l’État et la destruction de la nation…








L'Union Africaine nomme son representant pour Le Mali


Le haut représentant de l'Union Africaine a été nommé vendredi dernier pour siéger à Bamako en vue du renforcement de l'Etat de droit et de la préparation d'une intervention militaire dans le nord du Mali. Cette intervention a pour principal objectif le rétablissement de l'autorité de l'Etat malien dans la parti nord du pays, devenu le fief des terroristes, depuis maintenant huit mois.
www.lemonde.fr
Il aura pour mission "de renforcer la contribution de l'Union africaine aux efforts en cours" dans le Sahel.

Les militaires pensent à un retour de bottes au pouvoir au Mali

La situation au Mali est toujours alarmante. Nous avons assisté à la montée en puissance des militaires, suite au coup d'état, la mise en place d'un premier gouvernement qui avait tout sauf la capacité de gestion et enfin, une montée en puissance des imams, comme si finalement c'est dans les mosquées que doit se discuter la gestion et la sortie de cette crise. Or, il semble évident que ce soit les
 militaires ou les imams, tous n'œuvrent que pour avancer leurs agendas personnels. Personne et aucun média n'aborde cette approche, alors que tous sont prêts, et d'ailleurs de la manière la plus banale à dénigrer les politiques.

Et pourtant, on avait eu un grain d'espoir avec l'arrivée de Monsieur Traoré de Paris, mais surtout le projet qu'il a soumis aux maliens dès son arrivée. Mais Il me semble que les réalités concernant la gestion des affaires publiques au Mali ont vite pris le dessus sur ses intentions. C'est assez décevant de voir l'amateurisme émerger au détriment du savoir-faire, du patriotisme et d'un engagement sincère en politique. Les populations ne sont pas informées, et on a l'impression que la présidence et le gouvernement ont des approches complètement divergentes de la gestion de la crise.

Je pense que Monsieur Traoré doit être beaucoup plus présent sur la scène politique et médiatique. Il doit rendre des comptes aux populations de ce qui se passe dans le pays et de ce à quoi elles doivent s'attendre, à partir du moment où ces informations ne nuisent pas à la sécurité de l'Etat.

Les populations ont soif de vérité, que ce soit sur la présence très active de la junte en politique ou les différends entre le président, le premier ministre et la junte. Je ne connais pas assez bien le président Traoré, mais il me semble que c'est un homme sage et intelligent, qui était également candidat aux élections présidentielles. Cela veut dire qu'il pouvait à s'attendre à gérer ce genres de crise. Comment peut-il accepter que la junte se serve de lui pour assurer son agenda?

Hier Sanogo s'est une fois de plus adressé aux maliens à la place du président et du premier ministre. Pourquoi? A t-il une légitimité qui lui permette de faire des adresses publiques? Je pense que ne pas laisser la CEDAO sécuriser la transition serait de laisser la porte ouverte à tout abus de la junte.

Je crois qu'il faut privilégier les jeunes, qui ont une vision nouvelle pour le pays, qui sont prêts à sacrifier leur vie pour le Mali, qui a d'ailleurs besoin de fraîcheur sur sa scène politique. Ce n'est pas facile, j'en conviens, mais rien n'est jamais facile et si on ne fait rien, cette descente aux enfers pour le Mali ne s'estompera jamais et cela laissera la place à la dictature et à toute sorte de violation des droits de l'homme.
http://www.facebook.com/kadi.kanteabgrall

Crise malienne: Quelle option faut-il privilégier?


Nous devons tous soutenir le président Dioncouna Traoré, qui vient de demander une intervention militaire dans le nord du Mali auprès de la CEDAO et tous les partenaires. Nous devons mener cette guerre au nom de la dignité et de la légitime défense.

Depuis le début de cette crise, j'ai toujours soutenu l'option militaire, car persuadée qu'aucun pays au monde ne peut négocier avec les terroristes et encore moins le Mali, qui a d'ailleurs très peu d'expérience en matière de lutte contre le terrorisme.

Dès le mois de juin dernier, je défendais cette option en tant qu'invitée de RFI sur la question "faut-il privilégier l'option militaire ou diplomatique au Mali? ". A cette période, beaucoup de gens m'avaient qualifiée de "va t'en guerre" j'espère qu'aujourd'hui, ceux-ci conviendront avec moi, que l'option militaire reste la seule solution pertinente pour lutter contre cette invasion terroriste dans le nord du Mali.



Va-t-on vers une islamisation des médias publics au Mali ?


Je suis extrêmement choquée par ce qui se passe entre l'ORTM et le Haut Conseil Islamique depuis un certain moment. Et encore plus effarée en apprenant qu’il y a eu une rencontre visant à concilier les deux parties, sur initiative du ministre de l'administration territoriale. Je pense que les médias d'une façon générale et l'ORTM en particulier doivent garder leur indépendance et leur liberté. Le HCI n'a ni à fixer la ligne éditoriale de l'ORTM, ni à décider qui est habilité ou pas à diriger cet organe national.

J'ai peur que le mélange des genres ait encore du chemin devant lui au Mali. Comment pouvons-nous comprendre la tentative du Haut Conseil Islamique d’imposer ses règles au directeur de l’ORTM ou de donner un avis sur la personne qui est sensée ou pas diriger ce média public? Depuis quand, donnons-nous ce pouvoir aux musulmans du Mali ? Le pays est-il devenu un Etat islamique ? Et dans ce cas que ferons-nous des autres religions, que ferons-nous des nombreux maliens qui ne disposent d’aucune religion ? Le Mali est-il toujours un pays laïc ?

Les médias jouent un rôle vital dans les sociétés. Ils permettent de construire une paix durable, favoriser et promouvoir le dialogue entre les communautés au sein d’une société. Ils doivent incarner les valeurs de la société à laquelle ils appartiennent. Mais il est évident que lorsque ce rôle, ainsi que l’éthique et la déontologie de la profession du journaliste sont incompris au sein d’une société, cela peut être fatal, notamment pour les journalistes et les rend vulnérables aux pressions qu’elles soient religieuses ou politiques. Et lorsque dans un Etat laïc, un seul groupe religieux impose sa vision, cela peut également créer un sentiment d’injustice notamment contre les minorités religieuses et celles qui ne disposent d’aucune religion. Une telle situation compromet à l’évidence la liberté de la presse et la liberté d’expression d’une façon générale dans notre pays.

Une telle réalité est extrêmement alarmante, car les médias doivent rester libres, indépendants, impartiaux et pluralistes. Pendant ces temps difficiles dans l’histoire du Mali, les médias doivent veiller au respect des droits de l’Homme et ceux des minorités en particulier. Chaque organe de média a la lourde responsabilité de privilégier l’approche sociale de la profession en se faisant le porte parole de tous ceux qui peinent à se faire entendre dans notre société.

Les journalistes doivent plus que jamais mesurer l’impact de leurs productions sur les populations. Peut-on imaginer les conséquences pendant cette période de crise, lorsque l’information n’est pas donnée ou qu’elle est manipulée ou bridée ? Les médias doivent dire la vérité et évoquer les inquiétudes des populations.

Le Haut Conseil Islamique a-t-il vraiment conscience de la fonction des médias et en particulier celle de l’ORTM ? a-t-il pensé aux autres religions dans le pays ? Ne sommes-nous pas entrain de nous diriger vers une islamisation du Mali et ne risquerons-nous pas d'ignorer, voir exclure les minorités religieuses dans notre pays.
Nous devons faire attention et être vigilants, en tant professionnels de médias. Nous avons la responsabilité de sauvegarder l'éthique et les valeurs propres aux médias, si nous ne voulons pas perdre à jamais les sacrifices de ceux qui se sont battus pour l'instauration de la liberté, de l'indépendance et la démocratie au Mali.

Les professionnels des médias doivent être plus que jamais solidaires, pour traverser ces moments difficiles que vit le Mali, car le danger d'une perte d'autonomie n'est jamais loin. Nous devons rester debout et défendre nos valeurs. Je suis consciente de la difficulté à se faire entendre et à se faire respecter en tant que professionnels de médias au Mali, particulièrement dans une période comme celle que traverse le pays, mais est ce vraiment une raison qui justifierait le laxisme, l’hypocrisie et la manipulation ?